La France en 2050, état des lieux (Par Arturo)
(texte extrait d'un roman d'anticipation en cours d'écriture depuis 2 ans, à quatre mains par Nicodème Dupont et Arturo, espérons tout de même qu'ils en viennent à bout avant 2050 !)
Je
dois me ressaisir, ne pas céder à la précipitation. Il faut que je
me recentre, que je cherche à remettre de l'ordre dans mes idées.
Je dois parvenir à rassembler les pièces du puzzle. Tout d'abord
relire encore une fois la lettre de Seni. Cette fameuse plaidoirie,
le point de départ... Oui, il y a beaucoup de questions qui
rejaillissent, qui se percutent. Tout ça semble si loin, et si
proche. Qu'est-il advenu de ce plaignant ? Je continue à croire que
je lui dois beaucoup. Qu'on lui doit beaucoup. C'est grâce à lui
que le revenu citoyen a été mis en place, que le Comité a
supplanté les anciennes institutions régaliennes. Il faut que
j'essaie de me souvenir du passé. Pourquoi est-ce si difficile ? Je
ne comprends pas, ces derniers temps j'ai parfois l'impression de
nager dans le brouillard, d'être dans un rêve éveillé,
l'impression de n'avoir connu rien d'autre que le monde tel qu'il est
aujourd'hui. C'est une sensation très étrange. Quand c'est ainsi,
je me sens bien, apaisé. Toutefois, en faisant un grand effort
d'attention je me souviens maintenant, comment tout a basculé. Oui,
avant la plainte de ce citoyen nous avions un président omnipotent,
d'une arrogance assez incroyable. Je revois sa tête, son visage...
Ce mépris affiché dans ses yeux. Et je ne me souviens même plus de
son nom, je l'ai sur le bout des lèvres mais il ne veut pas sortir
... C'est terrible la mémoire défaillante. Est-ce que Romain aurait
raison ? La transdomo brouillerait-elle les esprits ? J'ai toujours
l'impression d'avoir du mal à me concentrer quand je suis à mon
domicile ces derniers temps... Ou alors c'est l'incroyable pouvoir de
suggestion de mon esprit qui me joue des tours ?
Ah,
ça y est tout semble me revenir : Emmanuel Macron. Le dernier d'une
lignée d'incapables, qui ont jalonnés les sommets de la piteuse
Cinquième République. Je crois bien que c'était en 2021 sa
destitution. Ou 2022, quelque chose comme ça. Il semblait alors en
ce temps-là que les planètes s'étaient enfin alignées. Nous
avions alors connu un répit inespéré, une éclaircie miraculeuse.
Si j'essaie d'avoir une vision d'ensemble ... Depuis cette époque,
je crois qu'il faut remonter au siècle précédent pour retrouver
une période propice à l'espoir, au renouveau. Voyons ... Jusqu'où
puis-je remonter ? Je ne vais peut-être pas trop m'enflammer dans
mes théories, mais il est certain que notre Histoire est faite de
cycles. Si je fais défiler sous mes yeux les cent dernières années,
ça me donnera un bon aperçu : la Seconde Guerre mondiale fut
l'apogée du pire, c'est incontestable. S'ensuivit alors la
reconstruction, la tentative d'oubli, une période où tout le monde
voulait dépasser les vieux démons, les chasser le plus loin
possible. Mais la société de l'époque était encore bien trop
rigide sous bien des aspects. Mai 68 a été un tournant, que l'on
pense que ce soit l'avènement de la décadence sociétale ou une
libération bienfaitrice, s'en est suivie une courte période
d'utopies, de rêves. Oui, mon père m'avait parlé de tout ça quand
j'étais jeune. Ce vent de liberté, cette douce euphorie. Des rêves
qui ont été vite douchés avec le premier choc pétrolier, le
chômage de masse, et définitivement enterrés avec le renoncement
du socialisme, lorsque Mitterand abandonna au début de son mandat
tous les idéaux qui l'avaient porté au pouvoir, pour adopter une
politique pragmatique sans saveur. C'est loin tout ça, mais c'est
comme ça que je l'ai en tête. Puis, de nouveau l'espoir rejaillit.
La chute du mur, les années 90 qui permettent une relative accalmie,
et les fantasmes d'un nouveau millénaire qui pointe le bout de son
nez. Et bim, 2001, ce ne fut pas l'Odyssée de l'espace, mais
bien autre chose, le commencement d'une période de tous les dangers,
l'enlisement dans la peur, dans la terreur. Vingt années de perdues,
à quasiment tous les niveaux. Un déclin sur tous les plans, c'est
indéniable. Et enfin, l'Espoir. Le vrai. Le changement de paradigme.
Quoi ... Sur ce point, je ne sais plus. En tout cas, un espoir, c'est
certain. Oui, on ne peut me l'enlever. Ensuite, quoi ? Je dirais
qu'on a eu une dizaine d'années de réels progrès. Avec des
gouvernants modérés, suivant une impulsion salvatrice. Puis les
trop sinistres gouvernances féministes nous ont mis une sacrée
épine dans le pied. Et depuis on peine à sortir de la nasse. Alors,
si tout est cyclique, et si l'on suit le parcours que je viens de
tracer mentalement, on devrait bientôt à nouveau connaître une
relâche, une période de renouveau, d'euphorie. Et l'on m'annonce
l'Apocalypse ! Non, ça ne peut correspondre ! A moins que cette
fois-ci les cycles courts soient rattrapés par un cycle de création
destruction bien plus large ? La fin d'un monde nous aurait pendu au
nez depuis longtemps et nous n'aurions rien voulu voir ?
Non
je déraille complètement, mes pensées sont confuses, et je ne suis
même pas sûr d'avoir été si pertinent que ça dans mes
réminiscences, dans mes élucubrations. J'ai la désagréable
sensation que mon cerveau fonctionne par intermittence, par
fulgurances. Je crois que j'ai été injuste sur certains points,
notamment avec les féministes. On peut tout de même leur accorder
quelques avancées, et au moins elles n'ont pas remis en question le
principal, le socle de notre société nouvelle : revenu citoyen et
une science toujours plus adaptée à nos besoins du quotidien. Même
si sur ce point, Seni est d'un tout autre avis que moi. Qu'est-ce que
je pourrais remettre en question ? J'essaie de le comprendre mais
c'est difficile. Les côtés pernicieux de la technologie ? Sans
aucun doute l'accroissement de la solitude, le repli sur soi. Mais en
même temps, les féministes ont aussi joué une grande part sur ces
questions. On ne peut imputer que la science. Par contre, il est
peut-être vrai qu'elle nous place dans un cocon surprotecteur, et
quelque part elle peut nous bloquer sur certains aspects. C'est un
sujet difficile à trancher. Sommes-nous allés trop loin ? Ou pas
assez pour nous émanciper suffisamment ? La protection, la sécurité,
ont du bon. Vivre en vase-clos était devenu nécessaire. Les temps
étaient trop troublés au début du siècle, avec la menace
permanente du terrorisme islamiste, la montée de différents
extrémismes ; d'une lame de fond séditieuse, qui avait failli
mettre le pays à feu et à sang lorsque le mouvement des gilets
jaunes dérapa. Oh oui, je me souviens, ce fut sanglant. Il y eut des
pertes, mais nous avions évité le pire. Il fallait à tout prix
ramener l'ordre, c'était nécessaire. Et surveiller les opposants
méticuleusement est devenu inéluctable ; ça peut se discuter comme
méthode, mais parfois on en arrive à un tel point que l'on ne peut
faire autrement. Les périls étaient trop menaçants à ce moment
précis. Il fallait accompagner le progrès économique d'un volet
sécuritaire, c'était l'évidence même. Afin de nous stabiliser, de
permettre à chacun de travailler sereinement. Personne ne voulait
revoir la guerre embraser le continent, et nul ne me contredira sur
ce point.
Maintenant que je repense à tout ça, je me souviens alors qu'on
avait parlé d'Europe forteresse à cette époque. Les frontières
extérieures ont été fermées, oui c'est vrai. C'est peut-être
pour ça que les gens ne voyageraient plus ? Ils n'en ont plus la
possibilité ? Non, ça m'étonnerait. Peut-être est-ce simplement
un peu plus compliqué qu'avant. Depuis le temps, ç'a dû
s'assouplir. En tout état de cause, il était nécessaire de
protéger nos populations, d'harmoniser les progrès à l'échelle
continentale. Et sur ce point, je suis certain que nous avons été
une belle locomotive. La plupart des réelles avancées
technologiques de l'après 2020 ont été issues des brillants
cerveaux de notre pays, et ça c'est notre fierté nationale. Les
autres pays européens ont vite adopté notre système de
transdomotique. Ensuite il a été plus aisé de développer le
reste. L'Europe est redevenue le centre du monde, le phare
civilisationnel. En tout cas, c'est qu'on s'est toujours dit au
Comité. Mais qu'en est-il vraiment du reste du monde ? Tout ça
m'intrigue. Pourrait-on se déplacer uniquement au sein des pays
européens ? Ça semble assez dingue comme idée. A notre époque ...
Il faut que je sache.
Vite, vite, 2050 avance à grands pas !
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